JEAN-LOUIS
RICAUD, LE MARTELEUR
Parution dans Var Matin- Avril 1988.
Les
sculptures de Jean-Louis Ricaud, exposées à la galerie d’Art
de Bendor ne laissent guère insensibles.
La
sculpture contemporaine peut surprendre, irritée, voire inspiré
le dégoût ou son contraire l’admiration, mais il est
difficile sinon insurmontable d’y être insensibles. Les visiteurs
de la galerie d’Art de Bendor en font l’expérience
visuelle à travers les sculptures en acier, bois, céramique,
cuivre, cuir, ardoise de Jean-Louis Ricaud qui expose jusqu’au 1er
mai.
Jean-Louis
Ricaud déverse la nudité des corps sur des constructions
formées de rouages, d’arbre de canne, de transmissions, de
poulies, de leviers moteurs d’une plastique évidente et qui
rappelle quelque part les étranges machines de Tinguely ne leur
manquerait le mouvement.
Ces
assemblages de ferrailles, de mécaniques, qui nous fait penser
au monde décrit par Charlie Chaplin dans « Les Temps Modernes
», servent de cadre, de décor à des sculptures, torses
mi-humains, mi-fantasmagoriques.
Dans
ce monde d’acier, de métal, les corps en céramique,
tordus, tendus comme les cordes d’un arc nous apparaissent fragiles
et prêts à rompre.
L’acier peint en noir enferme ces corps dans un univers de mort,
de solitude d’où, pour tenter de s’en échapper,
ils se tournent vers le plaisir.
Plaisir sensuel solitaire dans « La Cage d’Onan » (personnage
biblique) ou plaisir de la contemplation dans « Homo Deus »,
plaisir du vide, recherche de l’éternité dans «
Celui qui va mourir » te salue ; véritable gladiateur des
guerres galactiques, mi-homme, mi-robot avec sa tête en céramique
où l’âme se réfugie, son torse en bois et le
reste en acier et en cuivre.
Dans
un monde déshumanisé, il ne reste dans la vie de l’homme,
de la femme qu’une seule chose : l’amour. C’est le cri
que nous lance Jean-Louis Ricaud avec son « grand vertige mnémonique
» ou ses « galériennes » ou encore « intra
ligna corpus ».
Cet
amour est traité avec dérision jusqu’à provoquer
chez le visiteur des nausées érotiques. Tout au long de
la visite on s’aperçoit que Ricaud et sa sculpture déploie
une gamme de formes humaines dont l’élégance et la
fragilité, la lumière et les suggestions qu’elles
entraînent sont attisés par la froideur des formes et des
matériaux qui les encerclent.
RICAUD, CREATEUR DE MAGIE
Article de William BIARD
Parution dans Sud-Ouest- février 1997.
Beaucoup
de gens iront en Cadillacais ce week-end, pour le remarquable carnaval
théâtral qui s’y déroulera.
L’occasion de pousser une pointe jusqu’à la citadelle
de Rions pour s’imprégner des étranges sensations
que seul Jean-Louis Ricaud laisse faire passer à travers son œuvre.
Je l’avoue humblement, il m’a fallu des semaines pour écrire
ces quelques lignes insatisfaisantes tant la démarche de Ricaud
est pointue, alchimique, magique. Bref indicible et difficilement descriptible.
Ecœuré par Bordeaux, cet artiste indomptable, s’est
rendu maître d’une des tours de la Citadelle. Un lieu médiéval
particulièrement adapté à son œuvre.
Ses Christs crucifiés en immenses toiles vernissées à
la Botticelli, tout comme la plupart de ses personnages peints ou sculptés
sont crochus, cornus, tourmentés, coincés dans une phase
temporelle entre incarcération et libération. A l’image
de son travail. Ricaud travaille tout, la couleur, les matières,
la lumière, le vide et surtout le positionnement dans l’espace,
ce fameux point entre déséquilibre et équilibre.
Verticalité et horizontalité sans cesse transcendés
par une tangente invisible, un mouvement suggéré.
Du
Baiser au Gisant
Puis soudain l’on s’arrête sur une œuvre qui ne
ressemble guère aux autres : le Baiser de Beyrouth. Les lignes
de ce couple sont adoucies, ses personnages plus tendres. « Ce Baiser
date du 17 octobre 1585, explique Jean-Louis Ricaud. Il symbolise pour
moi la réconciliation entre arabes et chrétiens lorsque
les croisés ont quittés Beyrouth ».
En se penchant sur les croisades, il a découvert le personnage
de Guillaume d’Orange. D’où sa dernière œuvre,
le Gisant, qui emplit tout le premier étage d’une atmosphère
pacifique et templière. « C’est un grand tournant dans
mon travail. Il est calme et serein par rapport aux autres pièces.
Il montre que la mort n’est pas grave ».
Ricaud
l’inclassifiable est en pleine évolution. Référence
à Druillet ou Moebius : « je n’aime pas le fantastique
». Aux impressionnistes : « ils n’ont conçu l’art
que dans un sens, celui d’une technique ». Aux surréalistes
: « c’était un amalgame entre folie et réalité.
Ils ont été jusqu’à faire de la peinture médiumnique!
».
RICAUD EN LIVRE-OBJET
Article paru dans Sud-Ouest -avril 1998.
Décorateur de l’un des chars du carnaval récent, Jean-Louis
Ricaud est un sculpteur atypique. Son œuvre suscite la parution d’un
livre-objet, aux éditions de la Rose noire.
L’artiste porte une moustache de viking et le cheveu assez clair.
Il a 38 ans et deux décennies de pratique plastique. Sculpteur
et peintre il n’expose guère dans les lieux consacrés,
mais volontiers dans ce qui fut l’un des derniers bars radicaux
de Bordeaux, « le Volt ».
Ouvrage
original
Depuis, beaucoup ont pu découvrir son style plutôt gothique,
lourdement baroque et d’évidence industriel, durant le dernier
carnaval.
Jean-Louis Ricaud y avait décoré le très remarqué
char techno. Mis en branle sous la houlette U-Bahn de Saint-Pierre, cette
installation donnait une idée de la monumentalité de sa
création. Car s’il dépose, dans le magasin sus-cité,
des sculptures de petits sexes féminins qui peuvent servir de presse-papiers,
Ricaud se bat le plus souvent en grands formats, avec l’acier qu’il
tord et ponce. Pour imiter le bronze il utilise des céramiques
savamment repeintes ensuite qui confèrent un aspect imposant et
sombre à tous ses objets.
Connu pour son attachement aux activités artistiques atypiques,
le magazine « Rose Noire » s’est attaché à
ses travaux, et publie « Sculptures ». cet ouvrage original,
sur papier bible, réunit moult clichés de l’œuvre,
des textes qui la commentent, et un volet biographique. Vendu 135 francs
avec une sculpture sur sa couverture, chacun a été tiré
à la manière des sérigraphies, pour le rendre unique.
Lors de sa présentation, hier, le public a découvert deux
pièces exposées pour la première fois. Elles entremêlent
le fer au goût du crépuscule.
L’un est un gisant inspiré de la vie de Guillaume d’Orange,
la tête décapitée, le corps lourd de ferraille, avec
un alien sur le torse et un crâne incrustés. L’autre
est un ange, messager contrarié entre le divin et le terrien, qui
s’est écrasé sur le granit, non sans continuer à
distiller la métaphore ailée de liberté.
OBJETS INANIMES, AVEZ VOUS DONC UNE AME ?
Article de Colette LIEVRE.
Parution dans Les Cahiers de l’Entre Deux Mers- mars 1999.
J’étais
là avec mon invitation entre les mains. Est-ce que j’allais
y aller ? il est des jours comme ça, on se sent un peu fatiguée
et l’in se dit que cette invitation est une invitation de trop.
Et puis finalement je me suis décidée ; peut-être
parce que j’aimais bien ceux qui m’avaient envoyé ce
carton !
«Le
mardi 24 novembre, de 18 heures à 22 heures, la chapelle du célèbre
site gallo-romain de Loupiac accueillera l’œuvre de Jean-Louis
Ricaud, « LE VIVANT » sculpture monumentale sortie de l’atelier
de l’artiste pour la circonstance et pour une première présentation
au public.
Abra et Jean-Jacques Picot, réalisateurs, ont voulu se faire l’écho
de l’œuvre de Jean-Louis Ricaud, à travers un film documentaire
qui a nécessité 6 mois de travail. L’œuvre étant
achevée, on peut en parler, on peut en faire de la littérature,
on peut… »
Et bien justement parlons-en !
Je
sui arrivée dans ce lieu insolite que je ne connaissais pas. Une
jolie et curieuse chapelle désaffectée et détournée
de son usage. Pendant de longues années elle a servi de maison
d’habitation ce qui lui a valu d’être flanquée
de fenêtres à croisées avec volets assortis.
L’atmosphère était étrange, un peu funèbre
me sembla-t-il ? Un faisceau de lumière trouait la pénombre
et éclairait la sculpture posée à terre sur un étroit
et long tissu noir, sorte d’invitation pour puissance qu’il
me sembla tout à coup être pétrifiée d’émotion
!
Je
la regardais intensément. Etait-ce un Christ en « ressuscitaire
», en « revivance », un être venu d’un autre
monde ? Qu’importe, c’était l’œuvre de quelqu’un
et ce quelqu’un était sûrement quelque part, tout près,
au milieu des ombres silencieuse qui étaient dans la pièce.
Je
ne le connaissais pas, mais je l’ai tout de suite reconnu. Avec
une « gueule pareille » ce ne pouvait être que lui !
Un visage ombrageux, tout en poils noirs : cheveux, sourcils, moustaches.
Un regard sombre, incisif, droit dans le votre, et bien qu’il ne
soit pas très grand, une impression de puissance et en même
temps on sentait une retenue, comme une fragilité.
Quand je me suis fait connaître et lui ai dit mon émotion
devant son œuvre, il a eu un sourire d’enfant, un sourire en
décalage !
Je lui ai demandé si je pouvais le rencontrer un jour pour qu’il
me parle de son travail et c’est ce que nous avons fait quelques
huit jours plus tard.
C’est
ainsi que j’ai appris que le « VIVANT » était
la dernière pièce d’une trilogie qui comprenait «
le GISANT DE SAINT GUILHEM » mort symbolisant le guerre, la révolution,
ensuite « l’ANGE » qui dans son envolée évoque
le déchirement de l’homme dans son rapport avec Dieu, enfin
le « VIVANT ».
Douze bornes, en cours de réalisation, relieront les 3 éléments
entre eux contribuant à parfaire cette œuvre monumentale.
Il a fallu 4 ans à Jean-Louis Ricaud pour façonner la céramique,
l’acier, le granit à l’image des ses sculptures hors
du commun (le VIVANT mesure 2m50) mais 10 ans de maturation pour leur
donner ce qui ressemble assez à une âme. Car il dit…
« les artistes sont des monomaniaques. Ils ne font jamais qu’un
chose qui revient sempiternellement , qui remonte du tréfonds,
qui les occupent entièrement, qu’ils travaillent longuement,
ce qui est mon cas. J’ai le temps de voir mûrir mes projets.
La vie, la mort ? il n’y a rien d’original mais c’est
une vraie préoccupation, pour tous, même si dans notre société
la mort est maintenant complètement occultée… »
Je
l’ai interrogé sur le devenir de son œuvre ?…
» pour l’instant, tous trois sont dans mon atelier ; ils sont
destinés à être exposés dans les endroits que
j’aime. C’est pourquoi ils iront bientôt à Paris,
au Couvent des Récollets.
Ils vont faire l’objet avec le film qui a été réalisé
par Abra et Jean-Jacques Picot, d’une émission sur Arte…J’aimerais
qu’un jour ils puissent être exposés à l’Abbaye
de la Sauve Majeure. J’aime ce lieu, il leur irait bien !..mais
la vie m’apprit que l’on ne décidait pas des choses.
Pou ma part, je mets mon énergie au service de mon œuvre ;
elle existe ; elle est là, tangible, présente. On peut la
voir, alors elle peut intéresser !j’essaie toujours d’aller
plus loin, de mieux préciser ce que je sens en moi, d’avancer
pour que ma sculpture dégage plus de spiritualité que d’esthétisme.
Faire ne sorte que chaque fois qu’on est confronté à
elle on reçoive quelque chose…Dans une vie, on a à
peu près cinquante ans devant soi. Pour tout apprendre, tout mettre
en place, tout préciser, il faut de 20 à 30 ans. Ce qui
signifie que l’artiste doit travailler comme un fou. Il n’y
a pas beaucoup de place pour le reste…au bout il y aura peut-être
une œuvre intéressante, peut-être des gens intéressés,
peut-être la renommée ?… »
«
LE VIVANT » TRANSCENDE
Article de Jean-Yves LE METEYER
Parution dans Sud-Ouest- mars 1999
Echapper
au carcan inhérent à l’organisation d’une exposition
« classique », s’affranchir des contraintes imposées
par les galeries traditionnelles : Jean-Louis Ricaud est homme de conviction.
« Face à une création artistique, le public ne doit
pas rester passif. Il faut lui offrir la possibilité d’approcher
une œuvre, de l’aborder, de la découvrir en toute liberté
». Pour mieux s’en imprégner, la ressentir, l’apprivoiser
et se l’approprier.
La
démarche défendue par l’artiste depuis de longues
années déjà avec une ferveur et un enthousiasme intacts,
trouvait mardi soir sa plus parfaite illustration. A Loupiac, la chapelle
du site gallo-romain accueillait en effet la première sortie publique
du « Vivant », splendide et impressionnante e céramique,
en acier et en granit ; le résultat d’un peu plus de six
mois de travail qui était présenté par le biais d’un
véritable « show » s’articulant autour d’une
mise en scène aussi sobre et dépouillée qu’envoûtante.
Nul
besoin d’artifice en la matière. « je ne conçois
d’art que sacré »ne manque pas de souligner Jean-Louis
Ricaud. De fait, en pénétrant dans la petite salle froide
et dépouillée où le « Vivant » s’offrait
pour la première fois aux regards extérieurs, le visiteur
était plongé dans une atmosphère laissant libre court
à la contemplation. Sur fond musical diffusé en continu,
les variations d’intensité lumineuse multipliaient les lectures
possibles de la sculpture dans un subtil jeu d’ombre et de lumière.
Les détails se précisaient alors, s’affirmant ou s’estompant
pour laisser transparaître toute la force dégagée
par ce « Vivant » auquel conduisait un long cheminement en
drapé sombre.
GENESE
FILMEE
Avec
le « Vivant », Jean-Louis Ricaud vient en fait de terminer
un « triptyque » sculpté auquel il aura consacré
pas moins de quatre années. A terme, ce troisième élément
devrait ainsi rejoindre « le Gisant » et « l’Ange
» pour un court parcours qui sera balisé par douze bornes
ornées de bouches et d’yeux. L’ensemble pourrait alors,
si le projet actuellement envisagé obtient toutes les autorisations
et les accords nécessaires ; être mis en place dès
le printemps prochain dans un des principaux sites religieux de la région.
En
attendant si le Vivant a aujourd’hui regagné l’atelier
bordelais de l’artiste, il devrait à plus court terme être
possible de retrouver le travail de Ricaud grâce au travail d’Abra
et Jean-Jacques Picot ont achevé de tourner, ce mardi soir, à
Loupiac. Un documentaire intitulé « Genèse du Vivant
» , dont les premières images étaient d’ailleurs
projetées avant-hier à quelques mètres de la salle
d’exposition.
Durant
de longs mois, les responsables de l’Atelier des Techniques de l’image
et du son (basé à Sainte-Croix-Du-Mont) ont suivi le sculpteur
dans toutes les étapes de sa création. « A l’exception
des tous premiers instants qui n’appartiennent qu’à
l’artiste », précise Ricaud. Une réserve à
laquelle des cinéastes se sont pliés de bonne grâce.
Car il ne s’agit pas ici de trahir l’artiste. Cette «
genèse » offre au contraire l’occasion rare de pénétrer
au cœur de la création artistique, un voyage passionnant proposé
sans commentaire superflu.
Le voile de mystère et de magie qui y est levé n’occulte
en rien la force que l’on ressent lorsque l’on se retrouve
face à l’œuvre. Car les images s’attachent à
souligner avec justesse toute la minutie, l’attention ; l’énergie
et le temps consacrés au « Vivant ».
Ricaud se livrait doublement mardi soir, à la chapelle du site
gallo-romain de Loupiac. Avec une vraie générosité
et toute la force de son talent.
LE DOUBLE EFFET RICAUD
Article de Claire VALLECALLE.
Parution dans ELEGY- sept. Oct. 1999.
«
Je voudrais que la même sculpture plaise autant à un gamin
de 17 ans qu’à des cinquantenaires à culture baba…
». ça, c’est l’un des double effets Ricaud. Jean-Louis
Ricaud est basé dans le Sud-Ouest, mais ces sculptures évoquent
plus un monde industriel, angoissant, aux personnages tourmentés,
que la douce quiétude médoquine des châteaux et du
bon vin.
Bientôt
quadragénaire, il dit lui-même ne plus être en proie
à ses démons internes, et il vrai que depuis trois ans ses
sculptures sont plus accessibles, plus ouvertes au regard de l’autre.
Auparavant, le personnage était enfermé dans le métal,
prisonnier tout en étant protégé. Il fallait aller
« chercher le beau » au delà des piques et des griffes.
Désormais, il n’existe plus de barrières pour accéder
au personnage, mais cela résulte plutôt d’une évolution
que d’un changement radical.
Ses
trois dernières sculptures, d’environ 1 mètre 80,
se déploient à l’horizontale : « l’Ange
», et « le Gisant » sont en céramique, matière
fragile et délicate dans laquelle le métal s’entremêle
toujours, le tout étant défini par le choix du socle granit.
Le résultat reste étonnant, plus complet, beau, à
la limite du « sacré ». bref, conforme à l’idée
de Ricaud concernant l’art comme un « don de dieu ».
il ne veut plus choquer, il refuse tout blasphème, Jean-Louis Ricaud
s’affirme comme un véritable artiste, non pas comme tous
ces récupérateurs de métaux qui « font une
sculptures pour faire une sculpture. Il est facile de faire Nono le petit
robot et de le présenter comme une œuvre. Ce sont pas les
trois bouts de ferraille qui font une sculpture, ça c’est
Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes, et je ne veux pas être
apparenté à ça ».
Bien qu’il ait choisi de faire l’impasse sur la connaissance
musicale, Jean-Louis Ricaud conçoit un lien avec l’indus
ou la techno, leur côté répétitif se mariant
parfaitement avec son propre visuel. Il existe une esthétique industrielle
qui est mise en exergue par des sons électroniques. « Les
chants grégoriens, ça me fait chier. J’aime la musique
électronique, sans mélodies, l’expérimental,
le saccadé ».
En
ce qui concerne la dureté de ses sculptures, si elles expriment
une certaine souffrance, c’est tout simplement parce que le monde
souffre. « Ce n’est pas moi qui ai inventé la guerre,
l’industrie, je n’en fais pas l’apologie, tout comme
Sade ne faisait pas l’apologie du sadisme selon loi. Celui qui ne
veut pas rentrer dans la sculpture c’est parce que cela le remet
en cause, en danger. » Chacun doit trouver son niveau de lecture
afin de profiter de l’alchimie chez cet artiste à qui le
travail ne fait pas peur.
Si
vous ne le connaissez pas encore, sachez qu’un livre objet est disponible,
et une vidéo devrait voir le jour d’ici peu, tout ça
en sus de ses sculptures ; alors renseignez-vous chez Ubahn au 0556 811
778, et si vous avez l’occasion de le rencontrer, évoquez
une connotation Renaissance de ses œuvres, il sera ravi !
JEAN-LOUIS RICAUD ET LA MATIERE
Article paru dans ELEGY- juin, juillet 2002.
Tout
au long de ce mois de mai, la galerie parisienne l’Arche de Morphée
accueillait l’un des monstres français de la sculpture, Jean-Louis
Ricaud. Son nom ne vous parle peut-être pas et pourtant, depuis
plus de vingt ans, ce peintre et sculpteur donne vie à des œuvres
prodigieuses.
Immenses fusion de matières torturées, sombres âmes
pétrifiées faites d’acier et de granit et de céramique,
les travaux de cet artiste plaisent ou dérangent, mais ne laissent
jamais indifférent.
Après s’être illustré dans le sublime livre
1977-1999, J ;L ; Ricaud, Sculpteur- peintre, paru aux éditions
Egone (malheureusement épuisé), c’est aujourd’hui
un film qui lui est consacré, La Genèse du Vivant ( par
Abra et J.J. Picot, les Films du Campagnol). A noter que ce génie
(qui est aussi responsable de la sublime déco de la salle bordelaise
le Koslow) prépare actuellement un livre sur le chamanisme (à
paraître aux éditions Egone).
INTERVIEUW
Propos recueillis par Laurent BRAMARDI.
Parution dans ANNUNAKI- avril 2003.
C’est
dans un univers foisonnant et baroque, aux couleurs de terre et métal,
que nous convie le sculpteur Jean-Louis Ricaud. Des pièces monumentales
qui nécessitent parfois plus d’un an de travail aux œuvres
plus petites à la finesse étonnante, c’est un monde
dense et passionné que nous a aimablement présenté
ce sculpteur hors-normes…
Comment en êtes-vous venu à la sculpture ?
Ce fut un glissement du dessin au volume, au fil des années- 25
ans déjà, puisque je fête cette année l’anniversaire
de ma première exposition…j’avais 17 ans. Je présentais
des dessins à l’encre de chine. Même si la forme s’est
enrichie les thèmes étaient déjà présents,
tout comme l’organisation schématique du travail, la composition.
La peinture a suivi logiquement et à travers elle j’ai appris
le travail de la matière malléable ; la sculpture est venue
ensuite naturellement. En fait, je suis l’un des rares sculpteurs
à sculpter comme un peintre, à envisager la sculpture comme
une continuité en volume de la peinture. Les gestes sont les mêmes,
les préoccupations sont les mêmes, l’esthétique
qui en découle est la même…il n’y a aucune frontière
entre ses différentes pratiques. Je me rappelle d’un rêve
ancien où je pouvais par le simple fait de passer mes mains dans
la matière la faire disparaître, ou y créer des volumes.
Je rêvais aussi que j’étais en pierre, en pierre très
très dure, mais à la surface douce comme du velours. C’est
une sensation étrange. Je ne savais pas à l’époque
ce qu’était la sculpture.
Vos œuvres mélangent par ailleurs de nombreux matériaux…
Je travaille principalement la céramique, qui est la terre cuite
à haute température. C’est un travail de modelage
direct. Ensuite interviennent d’autres matériaux, qui viennent
complémenter le personnage modelé lors de cette première
étape. C’est une mise en situation de ce sujet, presque une
mise en page, en volume, au sens où cela permet une lecture plus
complète. J’utilise pour cela l’acier, la pierre, le
bois, le bronze,…mais aucun de ces matériaux ne reste brut
d’aspect : ils sont longuement polis, patinés, travaillés
dans leurs textures, leurs couleurs, leur brillance…ainsi un simple
bout d’acier rouillé peut devenir très luxueux. C’est
une recherche de préciosité qui fait rendre à la
matière une identité plus forte, qui lui donne une présence
plus évidente : chaque matière se retrouve chargée
de l’histoire qu’elle porte. Je suis très inspiré
par l’hylozoïsme- une ancienne philosophie qui croit en la
vie de la matière. Ma vision inspirée de ce postulat dit
que chaque molécule de matière porte l’identité
et l’histoire de son ensemble, comme une sorte d’ADN. Dans
chaque molécule d’acier, il y a histoire de l’industrie.
L’utilisation de la terre rappelle sans cesse la genèse.
Ainsi mes choix de matières ne sont pas anodins : je travaille
avec ce que chacune d’elle porte intrinsèquement.
Toutes ces matières ont des comportements, des caractéristiques
très différentes…comment en êtes-vous venu à
en apprendre le maniement-par une école, par la pratique ?
Je n’ai pas fait d’école d’art. mais ceci dit
je ne me considère pas comme un autodidacte : plutôt comme
quelqu’un qui a appris sur le terrain, avec d’autres artistes,
dans des ateliers, un peu dans des livres d’images aussi…j’ai
une formation technique, en construction mécanique.
Avec du recul, il s’avère que c’est une excellente
école pour l’art, dans la mesure où dans ce domaine
chaque pensée doit être concrétisée de manière
cohérente. Cet apprentissage très pratique m’a ouvert
l’esprit sur la possibilité d’élaborer des procédures
de travail à chaque fois différentes…En fait la condition
sine qua non de la sculpture c’est qu’il y ait construction
: cela paraît évident mais il ne faut pas le perdre de vue.
Toute pensée métaphysique qui n’aurait de support
palpable, physique, ne peut pas exister en sculpture : il faut sans cesse
trouver les bonnes méthodes de travail et évaluer rapidement
la faisabilité de celles-ci. C’est une école très
pragmatique.
Vous
enseignez maintenant à l’Ecole des Arts Appliqués
de Bordeaux. Comment y envisagez-vous vos interventions ?
Il y a deux versants à l’enseignement de la sculpture : le
premier, qui est celui des arts appliqués, est l’apprentissage
des techniques. L’autre par opposition est l’accès
à l’art fondamental, qui ouvre un champ de réflexion
complètement différent. Depuis que j’enseigne, j’y
ai beaucoup réfléchi : la première méthode
consisterait à dire, pour schématiser, « j’apprends
et quand je saurai faire, je m’exprimerai ». Ce serait plutôt
la méthode académique. L’autre façon plus actuelle
, c’est de dire que l’expression est le moteur de l’art,
et « je développe mon dire et j’apprends conjointement
des techniques nécessaires à mon expression ». l’apprentissage
idéal oscillerait entre ces deux démarches. Cela permettrait
l’élaboration de nouvelles techniques de travail, afin de
réduire l’écart qu’il y a entre la pensée
et sa réalisation. Chacun ayant sa pensée, chacun devra
trouver sa technique, en puisant dans le substrat de l’histoire
de l’art…
Votre propre travail est d’ailleurs empreint de références
à de nombreux courants artistiques…
Je puise effectivement dans tous les grands courants, mais pour moi ce
sont les débuts de la Renaissance qui sont les plus marquants,
aux 13ème et 14ème siècles. C’est à
cette époque que s’est opéré le mariage le
plus délirant entre le Sacré et le Beau, dans des images
très chargées. Et surtout à cette époque chaque
tableau est un ensemble d’histoires : il y a des histoires dans
les histoires, plusieurs niveaux de lecture et cela aussi bien qu sens
pratique que philosophique. Par exemple une toile nous présente
une foule : cette foule a une dynamique, une force, on peut la voir comme
un élément à part entière. Elle est organisée
en triangle sur un fond doré : à travers ce jeu de mise
en forme très subtil, elle prend un sens particulier, elle évoque
beaucoup de choses. Puis si on s’approche, dans cet ensemble qu’est
la foule, chacun de ses personnages a une dynamique propre : il peut être
en colère, interagir avec son voisin, et ces émotions sont
à leurs tours porteuses de sens…il me paraît important
qu’un tableau parle ainsi de plusieurs choses, qu’il présente
tout un registre d’histoires parallèles qui puissent se lire
séparément sur une image. Si je devais citer un artiste
qui atteint cela à merveille, c’est Pisanello : il faisait
des fonds dorés avec des aplats parfaits, il dessinait des personnages
aux perspectives bizarres…c’est le seul peintre qui ait une
palette argentée, ça me fascine !
Cette époque correspond aux premières remises en question
de la foi catholique, ce qui a pu apporter de nouvelles voies à
la peinture sacrée…
Il est évident que la peinture évolue dans ce domaine…De
toute façon la fonction de l’art est sacrée, mais
non pas religieuse. Sacrée parce que même dans un sujet d’apparence
profane, il y a forcément une présence cachée d’origine
plutôt divine. A l’inverse, quand je dis religieux, je pense
à l’organisation sociale d’une croyance : une peinture
« religieuse » devient l’instrument de transmission
de cette organisation, et donc un objet de pouvoir. C’est une peinture
qui porte un message évident, mais qui est vide-alors que le sacré
remplit les choses, et de surcroît d’une façon exempte
de dogmes. Un jour j’ai entendu un curé dire : « Dieu
c’est la non loi ». c’est la plus belle phrase de curé
que j’ai jamais entendue.
INTERVIEUW
Par Jean-François MICARD.
Parution dans le magazine D.SIDE - juillet 2003.
Sculpteur et peintre depuis plus de vingt ans, le bordelais Jean-Louis
Ricaud est apparu ces dernières années comme un acteur incontournable
de l’underground artistique hexagonal. Ce n’est que justice
tant il est difficile de ne pas succomber à la beauté massive
de ses sculptures hybrides, où la chair croise le métal
et où le sacré se marie à l’industriel. Alors
que se termine prochainement une exposition parisienne, Ricaud s’apprête
à pousser une fois pour toutes les portes de la renommée,
avec un CD-Rom et un long métrage consacré à son
passionnant travail d’alchimiste de la matière. Resterait-il
des sorciers hérétiques dans le Sud-Ouest de la France ?
Tu viens de publier une cassette vidéo et un CD-Rom. C’est
une façon un peu inhabituelle de présenter ton travail…
Je ne me suis pas posé la question en fait. Dans les deux cas,
ce sont des propositions qui m’ont été faites de travailler
autour de mes sculptures, et j’ai accepté. Lorsqu’on
te propose de faire un long métrage sur ton boulot, tu hésites
rarement. Je trouve très intéressante cette idée
que l’artiste devienne la matière première d’autres
supports et pratiques artistiques.
Sur le CD-Rom, tu te présentes comme sculpteur et peintre. Ce sont
deux activités qui te semblent à égalité dans
ton travail ?
En fait, la chose importante c’est le trait d’union qui relie
les mots sculpteur-peintre, car c’est pour moi exactement la même
chose. C’est une continuité permanente dans laquelle la démarche
reste totalement semblable. On change juste de médium et encore
pas tant que ça, en ce qui me concerne puisque je sculpte déjà
avec mes pinceaux. C’est vraiment la même démarche,
il n’y a aucune frontière. Par contre je produis beaucoup
plus de sculptures que de peintures puisque celles-ci ne représentent
environ qu’un cinquième de ma production.
Les références bibliques et le sacré occupent une
place importante dans ton travail, comme dans la toile Golgotha par exemple…
Oui, cette peinture est un chemin de croix assez ancien, un polyptyque
en quatorze tableaux et l’idée était de pouvoir être
à l’intérieur de la peinture. Une fois complètement
montée, elle fait une quarantaine de mètres carrés
et on se retrouve vraiment dans la peinture, et non plus à l’extérieur
comme c’est généralement le cas. C’est un sujet
extrêmement riche d’un point de vue symbolique. Je suis très
intéressé par le sacré, bien davantage que par le
religieux. Je pense que l’artiste a un devoir sacré de parler
de l’indicible, de choses qui sont au delà du racontable.
Ton œuvre est également souvent associée à des
climats plutôt industriels. C’est une parenté qui te
satisfait ?
Oui, parce que je pense avoir plusieurs tendances dans mon travail, une
industrielle ou plutôt post-industrielle, l’autre plutôt
renaissance et art sacré, et une autre plus SF. J’essaie
de ne pas être exclusif dans ce que je raconte. Il y a toujours
de nombreux éléments qui se croisent.
Il
y a toujours un aspect narratif dans ton travail. Tu nous racontes quelque
chose…
Je reprends la formulation de l’art au sens où le prenait
Dante, avec un premier sens narratif et littéral, un sens allégorique,
un sens moral et un sens qui amène à une lecture sacrée
des choses. Donc forcément, on commence par le sens littéral
qui permet d’accéder facilement aux choses avant de démarrer
une lecture plus approfondie avec des sens de lecture différents.
Comment a-tu été amené à prendre en charge
la décoration du Koslow à Bordeaux ?
C’est encore une fois une question de rencontre. On m’a confié
la décoration avec une carte blanche absolue. J’étais
ravi parce que c’est une réalisation qui m’a été
demandée parce que mon travail correspondait à l’ambiance
qu’ils recherchaient pour cette salle. C’est un versant un
peu plus gothique de mon œuvre, mais qui est en totale harmonie avec
ce que j’ai envie de raconter à partir de ce lieu. Ce type
de projet est passionnant, mais extrêmement lourd, cela représente
un an de travail, plus la préparation.
Dans tes sculptures, tu mélanges la céramique, l’acier
et le granit. Pourquoi cet assemblage ?
Cela part du concept assez simple du contenant et du contenu. L’idée
de départ était de faire figurer des hommes dans un univers
industriel et l’homme étant matérialisé par
un travail en céramique, en argile qui représente la genèse,
il était mis en situation dans un contexte d’acier industriel.
Tout ceci a un peu évolué au fil de mes années de
travail et je sui s arrivé à une certaine complétude
acier/céramique. Je travaille d’abord la céramique
sans me soucier de la mise en situation et je la termine en la confrontant
à d’autres matériaux comme l’acier, le bronze
ou le granit. Au départ les différents éléments
étaient complètement opposés, alors qu’il est
clair qu’il y a maintenant une fusion plus importante. Cela correspond
aussi à une évolution mentale, j’ai plus envie de
faire fusionner les choses que de les confronter. Mon travail actuel est
beaucoup moins violent et fermé que par le passé.
Ton
travail reste toujours centré sur les personnages. Considères-tu
la figure humaine comme essentielle ?
Oui, c’est incontournable. Un corps humain est capable d’exprimer
tous les sentiments inimaginables, et c’est le vecteur idéal
pour un travail comme le mien. Ce n’est pas vraiment une figuration
académique complète, mais il me semble très important
que la figure humaine demeure centrale. L’être humain est
d’une complexité terrible, et je pense qu’il est essentiel
de retrouver au moins une partie de cette complexité dans la sculpture,
tous ces paradoxes qui font que les contraires cohabitent. Je veux rester
dans cette ambivalence très riche qui fait que l’homme est
homme.
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